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Johann Schobert : Sinfonies au Salon, CD

Johann Schobert

Sinfonies au Salon

un CD Ligia, enregistré en 2017

 

Une sensibilité, un monde sonore nouveaux. 

par Martin Gester

 

Il est difficile de cerner ce qu’ un compositeur, au moment de composer une oeuvre, a exactement dans l’oreille comme références sonores. L’oreille du musicien opère autant par les souvenirs amassés que par l’expérience du présent. Nous sommes à une époque où la facture instrumentale, juste après le règne (non sans partage, certes, mais prestigieux) du clavecin et longtemps avant la progressive prise de pouvoir du « piano », voit une prolifération d’expérimentations instrumentales plus ou moins curieuses, dans tous les cas passionnantes. Le  goût change profondément en Europe. En France, en peu d’années : querelle des Bouffons (1752-54), Jean-Jacques Rousseau ouvre un nouvel horizon à la sensibilité avec la Nouvelle Héloïse (1762), Diderot loue l’art « de vérité » et raconte son envoûtement lors d’un récital de « pantalone » par un Allemand nommé Osbruck (Lettre à Sophie Volland de 1765 : "Imaginez un instrument immense pour la variété des tons, qui a toutes sortes de caractères, des petits sons faibles et fugitifs comme le luth lorsqu’il est pincé avec la dernière délicatesse ; des basses les plus fortes et les plus harmonieuses, et une tête de musicien meublée de chants propres à toutes sortes d’affections d’âme, tantôt grands, nobles et majestueux, un moment après doux, pathétiques et tendres, faisant succéder avec un art incompréhensible la délicatesse à la force, la gaieté à la mélancolie, le sauvage, l’extraordinaire à la simplicité, à la finesse, à la grâce… »), alors que se répand la mode des chants écossais que mettent en musique et sur les divers instruments nombre de compositeurs de J.C. Bach à Pleyel, Haydn et Beethoven.

Dans ce contexte, Johann Schobert apporte à Paris une inspiration nouvelle venue de l’est de l’Europe dans une oeuvre profondément originale. S’il est vrai qu’il est né en Silésie (aujourd’hui l’extrémité sud-ouest de la Pologne), sa musique porte une forte empreinte de musiques populaires. Il y a chez lui, sous la brillance technique - symphonique et virtuose à l’italienne, piquante et grave comme du Forqueray - un parfum de terroir, une manière de « parler vrai », la jouissance de rythmiques élémentaires mais prégnantes, et, tout autrement que C.P.E. Bach ou F.W. Rust, des clairs-obscurs et étrangetés qui anticipent le Sturm und Drang.

Il nous a plu de souligner cet aspect-là, à notre sens souvent sous-évalué, par notre jeu tout comme par le choix des instruments, jetant ainsi sur l’œuvre un éclairage complémentaire. Nous avons choisi le pianoforte de Gottfried Silbermann - que Schobert aurait pu connaître dans ses jeunes années, du moins connaissait-il certainement des instruments analogues du cousin Jean André Silbermann à Strasbourg — pour sa palette variée (una corda, registre de pantalon, résonance et douceur) malgré une agilité relative que surpasseront les instruments viennois de Joh. Andreas Stein. Cette agilité, on la trouve, au contraire, avec le grand clavecin Gräbner, instrument saxon tardif pleinement accompli, tour à tour brillant et chantant. 

 

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